Deux heures du mat. Je rentre du bureau. J'ai passé la soirée à reviewer des scènes. Pas eu le temps de manger ce soir (pas pensé en fait...), je vais finir une tablette de chocolat avant d'aller me coucher (super pour la ligne...). Mes enfants qui ne m'ont pas vu depuis une semaine vont me sauter dessus demain matin à 7h...
Drôle d'impression en jouant les scènes ce soir. J'ai testé une dizaine de scènes que je n'avais pas vues depuis un moment. Une vraie claque graphique, pas mal de problèmes de game play à régler, quelques problèmes de sons, de caméras, d'animations, des choses étonnantes, quelques trucs un peu décevant... et surtout cette drôle d'impression.

Curieusement, les gens ont l'air de penser que je sais ce que je fais. Ils se trompent. En fait, je découvre ce que je fais en même temps que je le fais. Dans tout processus créatif, il y a une part de découverte, de surprise, d'inattendu. Surtout quand le travail en question est le résultat de la collaboration de deux cent personnes... On peut difficilement avoir une idée à l'avance de ce qu'on est en train de faire. On peut avoir des espoirs, des attentes, des envies, mais ce n'est qu'à la fin qu'on sait si on a ce à quoi on s'attendait ou pas. Un peu comme quand on fait un enfant. La première fois, on se demande si on va le trouver beau, si on va l'aimer, s'il va nous aimer, comment les autres vont le trouver. Quand il arrive, il n'est jamais comme on se l'imaginait, on apprend à le découvrir et à l' aimer. C'est con, mais je ressens la même chose avec le jeu.

Une drôle d'impression donc, dans cette période étrange où j'apprends à connaître mon jeu. J'ai joué une scène, pris des notes, relevé les problèmes. Puis j'en ai joué une autre, puis une autre et encore une autre. Après un moment, on oublie le jeu, on s'intéresse à l'histoire et aux personnages, on oublie que c'est un jeu. En fait, ça n'en est pas un. Je ne sais pas exactement ce que c'est, une sorte d'expérience étrange. Et puis j'ai joué la scène « du doigt ». J'ai eu la chair de poule. Première fois que ça m'arrive dans un jeu. Sûrement la scène la plus dérangeante.


La scène "du doigt"...

Je me demande ce que les gens en diront. Impossible de savoir. Le doute, toujours. La meilleure et la pire des choses. Permet de se remettre en permanence en question. Empêche de se sentir serein. Quatre ans de travail, des nuits blanches et des week-ends au bureau, des semaines sans voir mes enfants, pour quelques heures de jeu, quelques semaines sur des étagères, un chiffre dans un magazine. Il m'arrive de me demander pourquoi je fais ça. Au moment où j'écris ces lignes, je ne suis pas sûr de le savoir.